Depuis ce lundi matin, le pass sanitaire est exigé dans les bars, cafés, restaurants, en intérieur comme en terrasse. Un contrôle dans un espace non clos, c’est une spécificité du dispositif français. Reportage à Paris et, dans un site touristique des Hautes-Alpes, aux abords du lac de Serre-Ponçon.
Pass ou non, c’est une matinée où la terrasse n’est pas le premier réflexe du matin. Il pleut (encore) à Paris. Le long du canal de l’Ourcq, les cafés démarrent lentement la journée, les tables sont sorties mais les serveurs se font attendre pour venir prendre la commande. Avant la commande, la question : « pouvez-vous me montrer votre pass sanitaire ? » Dans ce bar, « les gens jouent le jeu. Là, c’est la clientèle du matin, la plus facile à vivre », explique le serveur.
Plus loin, une femme, la quarantaine, s’installe. Elle découvre que le pass est devenu une obligation depuis aujourd’hui pour s’installer en terrasse. Étonnée, elle prend ses affaires en s’en amusant :« Ah oui, je crois que j’ai le papier qu’il faut, il faut que je le retrouve ».
Une restauratrice refuse de demander le pass sanitaire
Le gérant au comptoir lui propose un café à emporter. Elle décline. « Cette formule de la vente à emporter est tout ce qui nous reste sans être contrôlé », explique Cyril le gérant. « Avant même la mise en place du pass, nous avons eu quelques embrouilles, même avec des habitués qui disaient ‘si vous l’appliquez je ne viendrais plus jamais ici’. Mais les clients doivent comprendre que nous n’avons pas le choix », explique-t-il.
Dans le quartier, le respect des règles sanitaires est devenu sensible. Plusieurs restaurants ont subi des fermetures administratives pour non-respect de la jauge des 50% après la réouverture des salles en intérieur des restaurants. Thomas habite le quartier et accepte ses mesures.« Ça ou une nouvelle fermeture, je choisis sans hésitation de montrer mon pass. Ça prend cinq secondes ».
Amel ne dit pas autre chose mais elle se demande combien de temps ça va durer. « Je sens qu’à un moment ça ne va plus trop m’amuser de devoir me justifier plusieurs fois par jour », explique-t-elle.
À plus de 600 kilomètres de là, au même moment, au bord du lac de Serre-Ponçon dans les Hautes-Alpes, trois gendarmes descendent la rue commerçante. Ils ne s’arrêtent pas devant le restaurant « Les Curieux Gourmands » dont les propriétaires ne veulent pas appliquer le pass sanitaire. Toute l’équipe du restaurant est soulagée.
La co-gérante, Sandra assure qu’on n’arrête pas de lui demander « Quelles sont les règles sanitaires ? » au moment de réserver une table. Déjà, l’an passé, les mesures concernant le port du masque dans les restaurants n’avaient selon elle aucun sens. Auprès de France Inter, elle explique son choix de ne pas demander le pass :
On n’a pas signé pour être contrôleur mais pour être restaurateur. On n’est pas là pour contrôler quoi que ce soit.
Ici, les salariés vont se faire vacciner seulement s’ils le souhaitent. « On est en pleine saison, on a dépensé pas mal d’énergie déjà, et la saison va encore nous en demander pas mal », souffle Sandra.
Un autre restaurateur : « On verra demain ou après-demain »
Retour à Paris, en retrait du canal, avenue de Flandres. Dans les cafés, on trouve une clientèle d’habitués, souvent des hommes retraités. Le propriétaire est attablé avec des clients, nous passons commande. Personne ne nous demande rien. Quand nous lui demandons s’il a besoin de notre pass, le patron lève les yeux au ciel :« On verra demain ou après-demain, là j’ai pas eu le temps de m’en occuper ». Il se rassied au milieu de ses clients, rejoint par un autre homme qui se sent « plus en sécurité ici en terrasse, à l’air libre que dans le métro ». Il tient à préciser qu’il n’est pas contre le vaccin (lui-même est vacciné, dit-il) mais il se demande bien « pourquoi les terrasses ont été maintenues dans l’extension du pass sanitaire. À part ajouter des contraintes aux contraintes, je ne vois pas », tranche-t-il.
10h, le soleil tente une poussée au milieu des nuages. Les terrasses prennent quelques petites couleurs. Dans un grand café avec vue sur le canal, il faut scanner le QR code à l’entrée pour signaler notre passage, pour être rappelé si jamais des cas positifs devaient être signalés dans les prochains jours. C’est l’équivalent numérique du cahier où l’on peut laisser ses coordonnées.
En revanche, surprise : la serveuse contrôle visuellement notre QR code. Son portable reste sur son plateau, elle se contente de regarder le QR code présenté. Une femme, aidée dans sa marche difficile par son chien, se pose pour profiter d’un thé. « J’ai le papier » dit-elle. La serveuse la rassure. « Je vous contrôle une seule fois, après je saurais que l’avez ».
« On s’arrache les cheveux avec ce pass sanitaire », clame Margot, propriétaire d’un bistrot vélo à Embrun. Elle aussi contrôle avec les yeux les QR codes : « Je ne sais pas si mes salariés doivent le faire sur leur téléphone, ou si je dois leur en donner un. » Depuis ce matin, elle a refusé des clients qui n’avaient pas le sésame. « On peut se coller les uns aux autres près du lac, au Super U, mais pas en terrasse pour boire un café. » Pour ce restaurant, c’est aussi une semaine test. « Si 70% de nos clients n’ont pas le pass sanitaire, on fermera, cela ne sert à rien d’ouvrir », conclut-elle.
« Notre saison est terminée, on perd 80% de chiffre d’affaires »
Il est midi, les rues d’Embrun se remplissent de touristes, mais les terrasses encore vides. Celle de Julien attire l’œil. Il l’a entourée de rubalises. Il n’y a qu’un seul passage pour accéder à sa terrasse. « Il n’y a pas le choix, je fais ça pour avoir la paix, c’est le seul moyen pour contrôler les entrées et les sorties », fulmine le gérant du Rhum&Bass. Il a téléchargé l’application pour contrôler les QR codes. Pour l’instant, une seule famille est attablée à sa terrasse.« Hier, c’était plein ». Dépité, il considère que « sa saison est terminée. On perd 80% de chiffre d’affaires ».
Source : France Inter
Auteurs : Vanessa Descouraux, Victor Vasseur