« 90 % des problèmes de personnel, c’est les horaires », Laurent Trochain, étoilé Michelin et cofondateur de Resto ensemble

Laurent Trochain partage son retour d’expérience du métier de chef d’entreprise. Parmi les leviers pour accroître l’attractivité, c’est d’abord une sincérité dans la démarche d’écoute du salarié, et pas seulement la mise en place de tel ou tel avantage. Ensuite, c’est l’utilisation de la pointeuse comme facteur apaisant pour l’ambiance et constructif pour l’organisation du travail.

Les premiers critères pour faire revenir ou rester les professionnels de l’hôtellerie-restauration après la crise sanitaire

– Une hausse de vos revenus (augmentation, 13e mois, intéressement, participation…) : 72 %

– Le paiement de toutes vos heures supplémentaires : 49 %

– Ne plus travailler en coupure : 43 %

– Avoir plus de temps pour vous (un week-end de repos par mois, une soirée par semaine) : 40 %

– Bénéficier d’une bonne ambiance de travail : 32 %

– Pouvoir évoluer au sein de l’entreprise (formation, promotion) : 22 %

– La sécurité de l’emploi (préférence pour un CDI) : 13 %

(Lire le journal du 29 octobre 2021)


> Ça vous inspire quoi ?

Laurent Trochain : Que ce qui compte pour garder son personnel – et j’utilise cette expression sciemment car cette expression et cette difficulté ne date pas d’hier – c’est de proposer un projet d’ensemble à votre salarié. Qu’il se rende compte de votre sincérité. À l’opposé de faire de la communication sur tel ou tel critère, comme les deux jours de repos consécutifs par exemple et de demander par ailleurs des horaires à rallonge.

Et ce projet, vous en parlez à votre futur salarié dès l’entretien d’embauche : “Quel est votre choix de vie ?” On peut très bien être passionné et choisir les 35 heures ! On peut très bien avoir des préférences pour les services du midi ou du soir. Prendre en compte ses besoins, écouter et se mettre d’accord dès le début donnent un visage humain à la direction et donnent plus de chance au contrat de bien se dérouler.

Et par rapport aux critères que vous évoquez dans l’enquête, pour moi, il y a quatre cases à cocher pour une bonne relation avec son salarié :

  1. Les horaires.
  2. L’organisation du travail.
  3. Le salaire.
  4. Les avantages divers (pourboire, participation au transport…).

> Les horaires avant le salaire ?

Bien sûr. 1 heure travaillée = 1 heure payée. Avant de parler de taux horaire, parlons déjà de payer les heures travaillées. Et il n’y a pas débat, il faut une pointeuse, pour quatre raisons.

– La première, c’est que les salariés surestiment le nombre d’heures travaillées. Comme on entend dire que toutes les heures ne sont pas payées, on s’approprie cette croyance.

– La deuxième raison, c’est que cela apporte de la sérénité à l’employeur.

– Troisième raison, cela limite les déviances pendant les heures travaillées.

– La quatrième raison, c’est que cela permet de mieux organiser le travail dans le restaurant, de trouver une bonne adéquation entre les besoins de l’entreprise et les besoins du personnel. Ici par exemple, la réorganisation du travail a débouché sur deux jours de fermeture le lundi et le mardi, un service du soir pour les mercredis, jeudis, vendredis, midi et soir, le samedi et midi seulement le dimanche. Les services fermés (car générateurs de peu de couverts et pénibles pour tout le monde) ont été plus ou moins compensés par un nombre de couverts plus important grâce à l’agrandissement de la salle, avec cinq tables en plus.

Bien sûr, la pointeuse ne résout pas tous les maux mais elle fait une sacrée différence.

> Quand avez-vous introduit la pointeuse dans votre établissement ?

Le métier de patron s’apprend tous les jours. Le déclic pour moi, a été mon premier prudhomme précédé d’un arrêt maladie. On me reprochait ma pression, mon contrôle. J’ai assumé la responsabilité de cet échec relationnel et je me suis remis en question. J’étais un nouvel étoilé trop autoritaire et trop catégorique. Boire un verre avec ses équipes, faire une sortie avec eux, ça ne suffit pas.

Alors on a fait des essais pour mieux prendre en compte les besoins de nos salariés, et notamment la vie familiale, avec le principe d’appliquer aux salariés ce qui était aussi positif pour notre propre vie de famille. Donc on a essayé plein de choses, la semaine de vacances toutes les cinq semaines, la fermeture le mois d’août, la fermeture les 24-25 décembre…

Mais, apparemment, ça n’a pas suffit. Un couple de salariés m’a laissé tomber du jour au lendemain et je me suis retrouvé seul en cuisine pendant un an. Deuxième déconvenue. Deuxième déclic. La remise en question a débouché sur la mise en service de la pointeuse.

C’est pour ça que je parlais de projet d’ensemble dans une question précédente : horaires + organisation du travail + salaire + avantages divers. Mettre en place un critère de satisfaction pour les salariés de manière isolée (reprenons l’exemple des jours de repos consécutifs) sans projet d’ensemble n’est pas satisfaisant.

Ce projet d’ensemble, vous le mettez en place quand vous progressez dans votre métier de patron en rebondissant sur vos échecs. Et ce qui sous-tend le projet d’ensemble, c’est votre sincérité vis-à-vis de votre personnel. Et vos salariés vous le rendent bien. En salle et dans les assiettes, les clients s’en aperçoivent. Et vous, patron, vous êtes plus détendu et plus heureux. Quand un salarié m’a quitté, en l’occurrence pour se mettre à son compte, plus de déconvenue, il vous prévient en amont et vous pouvez organiser le départ sereinement.

 

Source : l’hotellerie restauration